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Gros plan, International, Minorités, politique, Vive la France

A l’Est, du nouveau… et à l’Ouest?

En Alsace, les collectivités territoriales pourraient évoluer d’ici l’année prochaine. Une collectivité unique pourrait émerger des discussions actuelles, avec des compétences élargies. La Bretagne est malheureusement à des années-lumière de ces avancées.

Les Alsaciens ne sont pas habitués à rester les deux pieds dans le même sabot. Voici qu’ils le démontrent une fois de plus, avec l’accord qui vient d’être obtenu entre le Conseil régional et les deux Conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin pour la création d’une collectivité territoriale unique. Le processus prévoit un référendum local puis une loi pour entériner tout cela. En outre, les compétences de la future collectivité pourraient être élargies: elles porteraient par exemple sur la coopération transfrontalière (avec l’Allemagne et la Suisse), l’enseignement des langues ou le logement.

Des privilèges alsaciens

De cette façon, les Alsaciens tireraient parti de la future réforme territoriale, prenant le chemin de la Corse, qui dispose d’une autonomie, certes toute relative ne serait-ce que par rapport à sa voisine, la Sardaigne. Une entorse de plus dans le mythe français de l’indivisibilité de la République. Il n’est pas intéressant de rappeler à ce titre que l’Alsace possède déjà plusieurs particularités: elle a un «droit local» dans les domaines associatif ou sanitaire (entre autres), issu, selon les cas, du droit impérial français ou du droit allemand. Une concession que les Français ont dû faire aux Alsaciens après 1918, qui sinon n’auraient jamais accepté de rejoindre la République, qui leur accordait moins de liberté que l’Empire allemand de Bismarck. Par ailleurs, le Conseil régional d’Alsace bénéficie depuis les années 2000 du privilège de gérer directement le fonds européen de développement régional (FEDER), à titre «expérimental» (une expérimentation qui dure…). Les mauvaises langues diront que cette situation particulière est due à la majorité régionale alsacienne, de la même couleur que le gouvernement français. Ceci a sans doute joué, mais il faut aussi souligner l’efficacité des Alsaciens dans leur ensemble. Une autre réalisation marquante: la fusion des universités strasbourgeoises dans un seul établissement, l’université de Strasbourg (l’une des deux universités alsaciennes avec l’université de Haute-Alsace). Pendant ce temps, la Bretagne a certes réussi à intégrer plusieurs établissements universitaires dans l’université européenne de Bretagne, mais l’absence flagrante des établissements de Loire-Atlantique se fait cruellement sentir…

L’impasse bretonne

Et justement, où en sommes-nous en Armorique? Comment s’annonce cette réforme territoriale? Force est de constater que les choses ne sont pas particulièrement réjouissantes. De plus en plus souvent, la Bretagne est diluée dans un ensemble difforme intitulé «Ouest» ou «Grand-Ouest» selon les configurations. Un ensemble généralement composé de neuf départements (ceux des dites régions «Bretagne» et «Pays de Loire»), mais qui peut aller jusqu’à la Normandie, le Poitou-Charentes ou le Val de Loire. Il semblerait que la transcription de la réforme territoriale pour la Bretagne soit l’émergence de cet espace technocratique, avec Nantes pour capitale. Nantes, qui se verrait octroyer un statut de «métropole», un petit Paris en quelque sorte, avec des compétences accrues sur son territoire urbain. Pour le reste, il est bien difficile de voir quels équilibres se dégageront, mais il est certain que la logique est à une métropolisation renforcée, à Nantes, Rennes ou Brest, ainsi qu’à l’économie résidentielle et au tourisme. Une Bretagne en réserve d’Indiens, vidée de sa substance et de son énergie. Tels sont les plans de la DATAR (consultables sur internet).

Pour une voie bretonne

Pour beaucoup (espérons-le), cette solution n’est vraiment pas la bonne. Cependant, il ne s’agit pas d’être simpliste et de reprendre la solution alsacienne. L’Alsace est un petit territoire entièrement transfrontalier, et Strasbourg y occupe une place réellement centrale. Les déséquilibres territoriaux sont sans doute moins perceptibles en Alsace qu’en Bretagne, par l’effet entraînant de la Suisse et de l’Allemagne dans les régions les plus éloignées de la métropole. En Bretagne, rien de tel. Se concentrer sur Nantes ou Rennes, voire même Brest, c’est faire mourir une bonne partie du pays. C’est créer des effets d’engorgement et des déséquilibres inacceptables. Les plus grands spécialistes l’ont dit, la Bretagne est polycentrique, elle est constituée comme un réseau dense de villes moyennes toutes partiellement autonomes: Quimper, Lorient, Vannes, Saint-Brieuc, et même Carhaix… Des villes qui peuvent vivre grâce à un hinterland plus ou moins étendu. D’où l’inanité de la politique des métropoles: en prenant le cas extrême, Nantes doit être pensée comme un pôle en relation avec de nombreux territoires urbains et ruraux en Bretagne, et non comme une entité en soi.

Sur ces bases, que pourraient proposer les Bretons pour tirer, eux aussi, profit de la réforme territoriale? Pourquoi pas un système d’inspiration fédérale, avec comme fondement les différentes zones d’influence dotées de leurs propres compétences, et une institution bretonne bicamérale, qui représenterait d’un côté les citoyens bretons, de l’autre les territoires? Certains diront que cela se rapproche de ce que propose la réforme territoriale. Ce n’est pas mon avis. Ce n’est pas en créant des conseillers uniques représentant à la fois les départements et la région que des politiques à la fois adaptées au terrain et cohérentes pourront émerger. C’est plutôt la voie vers un nouveau système notabiliaire opportuniste inféodé au gouvernement français et détaché des enjeux bretons. Alors, élus, entrepreneurs, représentants d’associations en Bretagne: vous savez ce qu’il vous reste à faire.

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  1. Pingback: La revue N. 12 : Strasbourg – Brest « Sterne - 16/11/2011

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